Atonal Festival, expérience d’un moment présent pas si loin du futur

Chaque année, l’immense Kraftwerk ouvre ses portes aux projets artistiques du Berlin Atonal. Véritable institution et acteur-partenaire des pouvoirs publics, l’événement impulse un nouveau souffle à la scène mondiale des musiques électroniques. Audacieuse, éclectique et novatrice, la programmation s’étend sur cinq jours. Retour sur cette expérience à quelques années lumières de notre vision d’un festival de musique. 

Fondé en 1982 par un certain Dimitri Hegemann – qui par la suite forma le célèbre club Trésor – l’Atonal a vécu trois cycles distincts. Le dernier en date est fixé à 2013 et se poursuit, amenant ainsi le festival à célébrer sa sixième édition cette année. Maintenant dirigé par Harry Glass, Paulo Reachi et Laurens von Oswald, le Kraftwerk – maison-mère de l’édition et des précédentes – semble presque avoir été étudié pour les accueillir. Si l’imposant bâtiment incarne à lui seul le passé industriel du quartier de Mitte, celui-ci a depuis été quelque peu transformé –  ou plutôt – aménagé. Ajouts de système de rails ou encore sécurisation des accès, le Kraftwerk a été revu pour accueillir lumières, sons et plateaux scéniques – de quoi créer l’immersion la plus totale. De la contre-culture berlinoise entre industriel et rock à un revival post-punk, l’Atonal est aujourd’hui le berceau d’un genre à la fois électronique et expérimental.  Ambitieux sur le papier, la quasi-totalité des échos déambulant autour du festival sont positifs. Rendez-vous annuel des amateurs de musiques électroniques pointus mais aussi des artistes venant présenter un nouveau live ou une collaboration inédite, pourquoi ce festival est-il si particulier ? 

 


Neon Chambers l Crédit : Cornelia Thonhauser

Jeudi

Premier Atonal, première claque. Une fois passé l’enceinte de l’ancienne centrale électrique, un jeudi soir, on se retrouve immergé dans le Kraftwerk fait de béton, de passerelles et dont le plafond semble lui-aussi déjà très lointain. Après avoir franchi un escalier, la main stage s’ouvre à nous tout comme ses volumes architecturaux sublimés par des jeux de lumières. Au coeur de la nef : la scène dispose d’un écran de plusieurs mètres de hauteur laissant ainsi les artistes visuels habiller les performances musicales. Les live A/V sont à l’honneur tout comme les collaborations innovantes.

Pour ce deuxième jour c’est le duo Neon Chambers – composé de Kangding Ray et Sigha – qui semblait être attendu par beaucoup mais ni leur savant mélange de techno / IDM / break ni leurs visuels Instagram projetés ne feront l’unanimité. Quoique, on se souvient sans doute avoir esquissé un rire unanime en voyant un like de Brice – le boss de Concrete – sur un des visuels.

Mais si la performance du duo ne s’est pas démarquée c’est en partie à cause de la suivante qui a placé la barre très haut. À l’intérieur de son cube lumineux, Lanark Artefax dévoilait des sons à la fois drum et breakés tout en offrant un show visuel futuriste qui en aura marqué plus d’un. « Toutefois Lanark Artefax a propulsé la soirée avec un live surprenant qui a débuté sur de l’expérimental que l’on pourrait juger très intello et prétentieux mais très vite rattrapé par des sonorités breakés (tu te répètes un peu, à retravailler) en clôturant l’ensemble par le célèbre Voices Near the Hypocentre qui ne peut laisser indifférent. » Des festivaliers aux artistes tout le monde y passe, même Dax J qui postera plus tard sur twitter « Découverte d’un nouvel artiste hier soir à l’Atonal. Lanark Artefax. Complètement ahurissant !! »


Crédit : Cornelia Thonhauser

Vendredi

C’est dans la pénombre que se mouvait la foule, vadrouillant entre les différentes stages offertes par l’Atonal. Ce troisième jour marque l’ouverture de deux scènes supplémentaire : le Trésor et Globus situé dans la partie club.

Comptant à présent cinq scènes qui offre une variété musicale, la particularité du festival réside également dans sa composition et son format. Les premières performances débutent aux alentours de six heures du soir et se termine vers neuf / dix heures du matin. Tantôt format concert, tantôt format club, les premiers pas se font généralement sur la main stage (puisque les autres scènes ouvrent dans la nuit) et là il n’est pas question de danser mais d’apprécier la musique à sa juste valeur. Apprécier assis, debout ou encore allonger même si soyons clair toute la beauté réside aussi dans les visuels présentés.

Il est dix heures, Pariah arrive sur la main stage pour présenter son nouvel album Here From Where We Are. À la fois délicat et pur, le travail de l’artiste était touchant et nostalgique mêlant diverses couches : instrumentales et digitales.

Changement d’ambiance avec l’entrée d’Hiro Kone qui présente, elle aussi, un album Pure Expenditure mais cette fois-ci une version légèrement modifiée, plus dansante, profonde et hypnotique. L’artiste fraie un chemin à la performance qui va suivre, plus sombre et puissante : British Murder Boys.

Figure majeur de la techno UK, le duo composé de Surgeon et Regis sera sans doute l’un des lives les plus techno de la main stage. Prouesse marquante, ou plutôt découverte, le duo Giant Swan sur la Stage Null et leur vision d’une techno moderne qui détruit ou plutôt réécrit les codes. Poursuit ensuite Paradox, qui offrira un live d’une heure assez inédit. « J’ai été complètement sur le c** quand j’ai vu que Paradox avait préparé un live sur OctaMED… D’habitude les délais de production sont assez longs pour la Drum’n’Bass et il a juste composé l’équivalent d’un album en live, sous nos yeux, comme si c’était un set. Son live était une performance technique en soi et la vibe était incroyable, j’y ai retrouvé la ride et les sonorités brutes qui manquent cruellement à la Drum’n’Bass contemporaine. Assister à un spectacle pareil à Paris serait complètement impossible, la bass Parisiène manque de moyens et de public pour présenter ce genre de live. » S’enfoncer dans les profondeurs et peu à peu se retrouver embaumer dans la fumée : bienvenue dans les abîmes du Trésor. C’est ici que la soirée s’achève pour nous sur les rythmes endiablés de Courtesy puis l’électro de la jeune allemande Helena Hauff.


Actress l Crédit : Cornelia Thonhauser

Samedi 

La musique n’est pas le seul domaine où l’Atonal cherche à promouvoir la découverte. Investi par des performances musicales et visuelles, le Kraftwerk présentait également des oeuvres numériques comme l’installation de Mika Oki représentant des miroirs factices dans la pénombre avec pour seule lumière quelques néons dressant le contour de ceux-là. Un peu plus loin, c’est l’oeuvre du japonais Shoshei Fujimoto qui occupe l’espace. À la fois intriguant et somptueux, le travail de l’artiste repose sur le contrôle de la lumière provenant de projections laser. L’oeuvre bouge avec la lumière qui se reflète sur divers miroirs, le tout suspendu dans les airs : incroyable n’est-ce pas ?

Mais, parlons musique. La soirée débute pour nous avec le live A/V de Claude Speeed, Sasha Litvintseva et Beny Wagner. Entre l’ambiant et la drone, Claude Speeed aura apporté cette touche sensible et émotionnelle sur la main stage. Accompagné par des visuels d’éléments naturels filmés ou photographiés (végétaux, ciel,…), l’artiste jouera majoritairement des tracks de son album Infinity Ultra sorti en 2017 sur Planet Mu.

Mutation vers un autre genre, Actress surgit sur scène une fois l’installation de son live terminé. Au-delà des projections, la scène comporte un mannequin en chrome taille humaine qui sera mis en avant par la lumière tout au long de la présentation. Référence direct à son album AZF sorti en 2017, le chrome du mannequin se retrouvait aussi sur les projections visuelles qui furent pour nous les plus intéressantes du festival. Quant à la performance musicale, Actress à su apporter un subtil mélange entre noise et mélodie. Il est deux heures passés et Misantropen prend les commandes au Trésor. Contrairement aux autres artistes, il n’est pas mentionné dans le fascicule fourni au début du festival. Un anonymat qu’on comprendra rapidement puisque c’est en réalité l’alias – encore secret – de Varg qui reprend le nom de sa première release.

Retour à la stage Null pour finir sur le live A/V de Aasthma (Peder Mannerfelt et Pär Grindvik) assez étrange puisque ce ne sont pas des projections qui alimentaient le live visuellement mais plutôt des performeurs en ciré jaune qui dansaient autour des deux artistes. Souvent vus séparément sur la programmation, cette année les organisateurs les ont réunis : Simo Cell b2b Low Jack pour clore la scène Ohm.Visiblement ils n’ont pas faillit et ont fait monter la température du mini club de plusieurs degrés.

« J’attendais beaucoup de Simo Cell et Low Jack depuis le set de Simon un an auparavant dans les mêmes conditions : six à l’Ohm, très propice à une ambiance intimiste. Les deux sont vraiment des chics types, très abordables et dévoués à leur public : l’an dernier par exemple Simo Cell a répondu à toutes les demandes de track ID sur Soundcloud pour son set à l’Atonal, qu’il a pris soin d’enregistrer, et elles étaient très nombreuses. Le revoir cette année avec Low Jack a été un vrai plaisir : toujours au contact avec le public et leur sélection est pointue et éclectique, très beau marathon et Simo a même laissé mon ami faire un rewind. » 


Crédit : Isabel O’Toole
Skee Mask l Crédit : Frankie Casillo

Dimanche

Dernier jour et pas des moindres, la clôture de la main stage est sans aucun doute un des éléments clé du festival. Alors que celui-ci cherche à promouvoir l’innovation et la découverte, la performance finale ne devrait-elle pas être celle qui repousse nos limites ? Cette année c’est LABOUR – inconnu aux bataillons pour nous – qui présente ‘Next time – die consciously’. Mêlant accoustique, jazz et percussions, le collectif semble toucher à une autre dimension temporelle envahissant toute la nef du Kraftwerk. Lumière de part et d’autre, sons lointains, disruptif et chaotique ce dernier live nous laisse nous questionner sur les nombreuses possibilités qu’offre finalement le lieu. Alors que les musiciens quittent la scène, les tambours résonnent encore dans la nef, la foule est plongée dans le noir puis quelques derniers bruits arrivent en écho de part et d’autre de la scène. Après quatre jours intenses, c’est sur la belle performance de Skee Mask que l’on finira cette édition en beauté.

Berlin, capitale de l’Allemagne et aussi de la fête, a très vite décelé le potentiel dans ces divers rassemblements festifs et musicaux qui conquérissent la ville. Si les premières éditions de l’Atonal se voulaient underground et DIY, le festival est désormais un des événements colossal et majeur des étés berlinois. Soutenus par le sénat de Berlin, les organisateurs affirment ainsi leur engagement dans la culture et leur volonté de s’étendre à l’international – ce qui est déjà bien le cas. Mais à terme cette démocratisation ne risque-t-elle pas de desservir le festival ? C’est un des points qui ressort après ces cinq jours passés au Kraftwerk pour le célèbre média Resident Advisor. Outre leur critique sur l’homogénéité vestimentaire, le magazine évoquait le manque de prise de risques et une certaine cohésion entre les performances sur la main stage. C’est à travers les autres scènes : OHM et Trésor, que le média semble avoir trouvé son compte en terme d’explorations sonores – ne doutant point du potentiel innovateur du festival. Germe ainsi une seconde question : comment la notion d’expérience et les innovations vont évoluer au sein du festival ? Quel futur pour l’Atonal ? Comment les performances pourront-elles nous surprendre dans une dizaine d’années ? La mise en lumière d’une intelligence artificielle qui compose un morceau ? Le suivi d’une performance live mêlant réel et réalité virtuelle ? Quelles réponses radicales peut-on encore trouver dans la scène actuelle ? La musique avance, s’hybride, évolue, bouleverse nos sens et chaque année le – très humble – festival Atonal est là pour révéler les talents qui construisent la scène d’aujourd’hui et de demain. Avec quelques années d’avance sur ses confrères, l’Atonal est un festival qui se fait et se re-fait d’année en année alors on peut déjà vous le dire et l’écrire : à l’année prochaine. Photo par Frankie CasilloHelge Mundt
Citations : Laetitia Dacalor-Meiss et Jules Pénuchot