Rencontre avec Zadig lors du festival 329 RE-THINK au Havre

Crédits photo : Jacob Khrist

À l’occasion du festival 329 RE-THINK au Havre, l’équipe ItinéraireBis est allé discuter avec l’un des tauliers de la scène techno française, le DJ Zadig.


Tu es considéré comme l’un des tauliers de la scène techno française, comment fais-tu pour te renouveler ?

Ces cinq dernières années ont été très remplies. Je suis devenu papa il y a presque 4 ans maintenant, parallèlement j’ai énormément tourné partout dans le monde et aussi changé plusieurs fois d’endroit mon studio. Donc concrètement, j’ai été assez frustré au niveau production. Depuis que je suis de retour au studio de façon régulière, les choses viennent assez naturellement. Je produis un peu moins de techno ces derniers mois, je me dirige plus vers autre chose, beaucoup plus calme et mélodique, plus proche de Kern finalement. Peut-être est-ce la paternité ? Je suis plus attiré par la musique onirique ces derniers temps. Quand j’arrive au studio, naturellement je commence à bosser des mélodies. C’est le meilleur moyen pour moi de me renouveler : alterner, produire différentes musiques, créer différentes émotions. C’est très important je pense. Et puis j’essaye toujours de faire quelque chose de différent, je ne veux pas faire un morceau qui ressemble à celui que je viens de sortir. Il y a aussi savoir faire un break. Quand tu sens que tu n’es pas inspiré, il vaut mieux ne pas aller au studio et faire autre chose ; c’est l’opportunité de se recharger, de nourrir son inspiration. Voilà pour moi la clé.


D’où te viennent tes influences ?

Les influences peuvent venir de n’importe où, à n’importe quel instant de la journée ou de la nuit.
Il n’y a rien de vraiment établi. Ça peut venir d’un film, d’un livre, d’une discussion avec quelqu’un mais également de quelque chose que je vais apercevoir furtivement en regardant pas la fenêtre d’un train, d’un paysage que je vais contempler quelque part. En fait, une somme de toutes ces choses qui se mélangent sans que tu t’en rendes compte et qui prennent la forme d’une idée que tu vas essayer de concrétiser. L’inspiration ne se force pas, elle vient naturellement sans prévenir.

Par exemple, je me souviens très bien de la façon dont m’est venu le track « Dark Nebula » que j’ai sorti sur Syncrophone. J’étais allé au Rex, je ne me souviens plus qui jouait mais la musique était très inspirante, pas un moment en particulier mais une impression plus générale. En rentrant chez moi, j’étais tellement inspiré que je me suis mis sur mes machines et composé la première version du morceau. Je l’ai par la suite modifié et arrangé mais la base du morceau est venue comme ça très naturellement. En quelques heures tout était là.

Cela aurait pu se produire durant un concert de rock ; l’essentiel est de trouver sans cesse de nouvelles perspectives, je crois que c’est la chose la plus importante, prendre du recul et surtout ne pas être trop routinier : c’est fondamental pour moi, pour rester créatif. Je supporte assez mal de refaire quelque chose que j’ai déjà fait.


Toi qui as commencé dans un genre plutôt hardcore, comment en es-tu venu à la techno et à des projets plus ambient ?

En réalité, j’ai toujours acheté toutes sortes de musiques électroniques ; par exemple, il m’est arrivé d’acheter le même jour un disque du label Epiteth records (Label Hardcore de Laurent Hô) et un Versatile : pas vraiment le même délire mais pourtant c’est ce que je fais régulièrement, si la musique me plait … Je n’aime pas me cantonner à un genre en particulier. C’est en lien avec ce que je disais précédemment. C’est le meilleur moyen de rester ouvert et inspiré. En fait, le fait de se concentrer sur un genre ne dure qu’un temps. Parfois on a besoin d’approfondir, d’aller plus loin dans un genre pour en tirer l’essence et d’une certaine façon en maîtriser tous les aspects ; mais aller de l’un à l’autre est tout aussi intéressant et pertinent, ça permet d’amener une sensibilité différente, de nouvelles idées.

Concernant l’ambient, je pense que c’est simplement dans logique de ce que je disais et puis à chaque instant sa musique, l’ambient prend tout naturellement sa place mes projets.


Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton side project ? Un côté ambient et plus deep, loin du style techno Detroit. Pourquoi avoir monté Kern Space Adventures ?

Kern c’est une manière de m’évader. À la base, cela devait être un projet plus global : musique, graphismes, textes, BD et pourquoi pas vidéos. Je dis « devait être » car pour le moment je n’ai pas eu le temps de développer vraiment le projet mais je ne désespère pas.

Concernant le contenu musical, je voyais justement les choses de manière assez globale également, avec un registre très ouvert, dans un premier temps plutôt électronique mais pourquoi pas y ajouter de l’acoustique par la suite. Mais pour le moment, j’y met vraiment tout ce que j’aime en électronique, sans me poser la question du « genre » : peu importe, l’essentiel est que cela rentre dans l’imagerie que je me suis forgée, une sorte de science-fiction très colorée parfois très rythmée, drôle ou bien parfois calme, mélancolique. Le but est que cela soit très cinématographique, afin de donner vie aux personnages, car je souhaite que Kern Space Adventures soit comme une véritable histoire et que les morceaux soit des parties qui s’articulent comme dans un scénario.


Beaucoup de tes titres ressemblent à des titres de films ou de livres, l’imagination fait-elle partie intégrante de ton processus de création ?

Les titres sont importants pour moi, même si il m’arrive très souvent de les trouver après avoir fini un morceau. Plus un morceau est inspirant, plus il est facile de lui trouver un titre, c’est une touche finale : un morceau pour lequel tu ne trouves pas de titre ne devrait peut être pas sortir finalement.

Je vais chercher dans les livres, les films, Wikipedia et ailleurs pour trouver quelque chose. J’ai en général une idée de sujet, et en fouillant je construis petit à petit le titre en mélangeant et déformant ce que je trouve. Par exemple pour le titre « The Labyrinth Of Feynman » j’ai utilisé le nom d’un personnage réel Richard Feynman, un physicien qui a travaillé sur la mécanique quantique et j’y ai ajouté le Labyrinth : voilà c’est surtout très ludique. Je crois que je pense à ma musique de cette façon, comme à un jeu même si parfois le thème peut être grave ou triste, il faut que cela reste amusant pratiquer et à fabriquer.


Où joues-tu à Rouen ? Pourquoi rester basé en Normandie ?

Je joue assez peu à Rouen, pas par choix bien entendu mais plutôt par manque de lieux de qualité. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de club dédié à la musique électronique. Certains endroits ont vu le jour cette année mais je ne sens pas vraiment l’approche de passionnés pour être honnête, certaines personnes qui y travaillent le sont, je pense plus que les propriétaires veulent plutôt surfer sur une vague sans vraiment savoir quoique ce soit de cette culture. Il y avait également le festival Immersion mais je ne suis pas certain qu’il y ait une nouvelle édition, j’espère me tromper : il ne reste que le 106 mais nous savons que le coeur de la programmation n’est pas la musique électronique donc à part une soirée de temps en temps, il n’y a pas vraiment d’opportunités.

Mais la musique n’est pas la raison pour laquelle je suis en Normandie : je suis né à Rouen, j’ai passé quelques années à Paris pour travailler et c’est là que les choses se sont misent en place pour ma carrière mais Rouen est un choix qui a ses avantages : proximité avec Paris et donc les aéroports, des prix attractifs comparé à Paris et puis c’est une région magnifique que j’aime. Évidement, parfois, j’entends l’appel d’un pays étranger comme l’Espagne, le Portugal ou bien les Pays-Bas : j’y songerai avec ma famille plus tard, ou pas.


Quelle est selon toi, l’évolution de la scène électronique à Rouen, et par extension en Normandie ?

La scène s’était bien développée à Rouen mais la fermeture des deux clubs qui proposaient une programmation régulière a freiné cette expansion malheureusement et il n’y a pas vraiment eu de remplacement crédible jusqu’à aujourd’hui (sauf le festival Immersion). Le point positif est l’ouverture du magasin Aesthetic Circle Record Shop, plus spécialisé dans la seconde main et en musiques électroniques. Je suis très heureux que ce nouveau lieu existe. Bien entendu cela ne suffit pas mais c’est sans conteste très positif. Pour ce qui est de la Normandie, il y a bien entendu Caen et le festival Nordik Impakt ainsi que le Cargö qui dynamise les choses, le festival Saint-Love à St-Lô, Le Havre avec le Tetris qui offre un programmation assez régulière : je dirait donc que la scène avance et se porte plutôt pas mal dans notre région. Il y a encore beaucoup à faire mais les choses avancent.


Et quel regard peut-on porter sur cette scène ? Évolue-t-elle au même rythme que la scène électronique française (selon un regard étranger) ?

Je pense que cette scène est assez dynamique, il se passe des choses même si on aimerait plus de propositions. Après c’est très difficile de faire des choses et que cela fonctionne, l’affluence n’est pas toujours au rendez vous et ça prend beaucoup de temps et d’énergie pour parfois peu de résultats et puis les lieux qui accueillent cette culture ne sont pas nombreux. Je suis convaincu que beaucoup d’artistes ne sont jamais sortis de leur chambre à cause de ça, ce manque d’opportunités. Après dire que la scène normande évolue au même rythme que la scène française ou non est difficile à dire. Chaque région est différente avec des interlocuteurs variés ; parfois favorables à cette culture, parfois fermés. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un rythme dans l’évolution. Tout dépend des activistes qui restent sur place pour essayer de créer quelque chose. Mais je pense que du point de vue étranger, avec les festivals que nous avons ou avons eu, les choses ne se passent pas si mal.


Peux-tu nous raconter la genèse de ton label Construct Re-form ?

À la base, j’ai eu l’idée et l’opportunité de créer le label chez Syncrophone. Je travaillais là-bas à l’époque et quand j’ai évoqué cela avec John Sill et Didier Allyne qui s’occupaient des labels et de la distribution, ils m’ont bien entendu encouragé et soutenu. Les choses étaient largement facilités grâce à leur position : c’était donc une aubaine. Je ne pensais pas signer d’autres artistes, j’avais déjà prévu de sortir ma musique et après je ne savais pas trop. Mais rapidement j’ai rencontré Antigone, Voiski et Birth Of Frequency (que je connaissais déjà car nous sommes cousins) et les choses ont pris une autre tournure : je ne pouvais pas passer à coté des ces talentueux artistes. Donc c’est venu comme ça. Je n’ai jamais eu d’autre projet que de sortir de bons maxis, pas de concept spécial, pas d’idée sous jacente, juste faire de bons disques, inspiration des labels des années 80/90, quelque chose de simple et minimaliste au niveau design, et la musique en avant.

https://www.youtube.com/watch?v=Zlw2pqZrgbk

Ce qui est assez drôle, c’est la façon dont je me suis mis à travailler avec Axel, mon partenaire et agent jusqu’à récemment. On se connaissait du magasin car il était client et puis je me suis aperçu qu’il était barman au Rex Club. On a commencé à pas mal échanger. Un jour, il a décidé de quitter le Rex pour commencer une formation dans le milieu de la musique. Et au bout de quelques mois il est venu me proposer de faire son stage avec moi, pour m’aider a gérer le label et finalement ma carrière et jusqu’à très récemment il a été mon agent. Comme quoi les artistes cherchent souvent les grosses agences pour les représenter mais quand je vois tout le travail que nous avons accomplis ensemble, je me dis que chaque rencontre peut être déterminante.


Quelle relation as-tu avec Syncrophone ?

Syncrophone, c’est très sentimental évidement. Tout a commencé là-bas. Lorsque je suis arrivé à Paris pour bosser dans le magasin de Matos j’avais abandonné toute idée de vivre de la musique ou même tout simplement de pouvoir jouer de temps en temps. J’ai d’abord rencontré Mathieu Berthet avec qui je travaillais, il s’occupait la plupart du temps du studio de mastering et moi de la boutique. Mathieu était passionné de musique, de son et de synthés. C’est en discutant avec lui que j’ai de nouveau eu envie de me mettre à produire sérieusement, je veux dire de faire autre chose que des loops avec mon ordi. Ensuite j’ai rencontré John, Didier et Blaise qui s’occupent toujours aujourd’hui de Syncrophone, j’ai partagé beaucoup de choses avec eux et nous avons travaillé beaucoup ensemble, j’ai sorti pas mal de disques chez Syncrophone. C’est aussi là-bas que j’ai rencontré la plupart des labels français qui m’ont signé, Nico le boss de Plastic, Technasia pour Sino Dj Deep pour Deeply Rooted House, Arnaud le Texier pour Children Of Tomorrow … cette période a été déterminante clairement.


As-tu des projets pour l’avenir ?

Oui pas mal de choses a venir. Déjà un gros changement dans ma carrière dont je ne peux pas parler encore (ça c’est du teasing !). Au niveau production, je viens de finir des remixes pour Rebalance, un label Russe lié à Unbalance sous Zadig, mais aussi un remix et un original pour B.E.A.R le label de Behzad et Amarou, cette fois sous le nom de Kern. L’autre artiste est Cory James, un américain qui a également fait un remise et un original. Je sors également un maxi sur Suburban Avenue, un label basé à Rome (Zadig), un remixe également sous le nom de Kern d’un band Japonais, je suis en train de finir le mixe du morceau. Je travaille aussi sur un Semantica et un Token, Zadig cette fois. Et lorsque j’aurais fini ça, je vais enfin pouvoir attaquer mon album. L’année sera bien remplie. J’ai également quelques idées de collaborations avec d’autres artistes…


Crédits photo : Jacob Khrist