Interview « Double Casquette » avec Vice Experience

ItinéraireBis est parti à la rencontre des DJs à « double casquette » qui exercent à métier « classique » le jour et nous font danser la nuit. Focus aujourd’hui 

ItinéraireBis : bonjour Vice Experience. Peux-tu te présenter à notre communauté.

Vice Experience : Fred, aka Vice Experience, DJ basé à Paris, éduqué électroniquement à Berlin au Panoramabar/Berghain et ancien programmateur/agent d’artistes. Je mixe depuis 2006 environ et dans mes sets, j’aime construire des ponts entre house, electro et techno, selon les réactions du public.

ItinéraireBis : quel métier exerces-tu le jour ? Ton activité de DJ influe-t-elle sur ton métier ? Ta direction est-elle au courant ?

Vice Experience : Avant, j’étais programmateur de concerts et clubs, donc c’était le cas de 2005 à 2018, mais depuis 2019 j’ai changé de secteur professionnel. Je suis désormais responsable administratif dans l’enseignement supérieur. Cela n’influence donc plus directement mon activité professionnelle, même si je prends toujours plaisir à partager ma passion et mes modestes connaissances avec les associations étudiantes centrées sur la musique.

Ma direction n’est pas directement informée de mes activités de DJ, mais certains collègues et relations pro le savent et viennent parfois aux soirées auxquelles je mixe. Je trouve ça cool !

ItinéraireBis : quels sont les avantages et les inconvénients de cette double casquette ?

Vice Experience : les avantages sont multiples : maximiser le plaisir et les croisements de parcours avec des personnes stimulantes la plupart du temps, déployer ma passion en soirées en parallèle d’un job dit “classique” avec des horaires de bureau, rencontrer des personnes qui partagent la même passion ou veulent tout simplement sortir et s’amuser. En résumé, il y a du bon dans les 2 🙂

Mon équilibre vie pro/vie perso étant plutôt bon dans mon cas, hormis le manque de temps pour pouvoir produire plus de musique, je ne vois pas de grand inconvénient au quotidien.

ItinéraireBis : as-tu déjà pensé à tout quitter pour tenter ta chance dans le Djing et/ou la production ?

Vice Experience : pas vraiment. Sans doute à cause du risque précaire que cela peut représenter financièrement : pour vivre vraiment du djing, il faut disposer de beaucoup de bookings et réussir à entretenir ceux-ci durablement. Mais qui sait ? Peut-être qu’un jour ça sera le cas…C’est un appel aux programmateurs/trices : si vous aimez mes sets, (re)bookez moi 😉

ItinéraireBis : en tant qu’ancien agent de DJs, comment as-tu vu l’évolution de la scène électronique en France ? Notamment au niveau local.

Je resterai modeste car je ne connais ce milieu professionnellement que depuis les années 2000, je n’ai donc ni la légitimité d’un DJ pionnier de genre, ni la puissance créative d’un grand producteur électronique, ni celle d’une organisation durable d’événements électroniques.

À mon niveau, j’ai surtout remarqué des choses que j’estime positives comme la “démocratisation” d’une musique qui était initialement complexe à promouvoir, voire carrément interdite ou clandestine et qui est désormais extrêmement généralisée et professionnalisée. Ces dernières années, la place s’est enfin faite pour un rééquilibrage paritaire avec plus de femmes DJs et je trouve vraiment légitime (il était temps ! go, girls, go !)

Je remarque également qu’il y a un vrai renouvellement de générations d’amateurs du genre et une sorte de décloisonnement des chapelles et des sphères créatives notamment grâce aux réseaux sociaux : on ne sépare plus trop par “castes” (dans une même soirée, on peut avoir de la house ET de la techno par exemple) et la “ghettoïsation” des styles musicaux originels peut laisser place à une véritable hybridation créative aujourd’hui.

Cela me touche positivement car j’ai toujours aimé différents genres musicaux et mes modèles sont des DJs comme Laurent Garnier, Ryan Elliott (résident du Berghain/Panoramabar), DJ Harvey ou encore Kittin qui créent des ponts entre electro, disco/house et techno. J’aime les mélanges, j’aime quand les BPM peuvent varier. Pour moi, ce qui compte avant tout, c’est le groove.

Au niveau local, je trouve que la France reste un vrai vivier de talents qui arrive à se maintenir grâce à une vraie culture électronique malgré ce que peuvent en penser ses détracteurs : aujourd’hui, dans chaque ville quasiment (je mets les zones blanches à part, même si elles peuvent accueillir ponctuellement des festivals), il existe des bars ou mini-clubs où l’on peut se retrouver facilement pour danser et apprécier un ou plusieurs DJs le temps d’une soirée, la plupart du temps le weekend. Dans les grandes villes, ce sont les collectifs et clubs plutôt “historiques” qui mènent la danse, et j’ai l’impression qu’ils sont de plus en plus nombreux. En tout cas, malgré les difficultés (fermetures administratives, restrictions diverses), il y a toujours des orgas qui gardent la motivation et la jeune génération est à fond. Je trouve ça super !

Personnellement, j’ai grandi en province et j’ai eu une révélation quasi mystique vis à vis de la musique électronique, vissé sur les épaules de mon père à 11 ans devant le concert de Prodigy aux Eurockéennes de Belfort d’où je suis originaire. J’entretiens donc une relation spéciale à la musique électronique depuis mon plus jeune âge.

Je suis né en 1985, près de la Suisse, et musicalement quand j’étais ado, les plateformes de streaming n’existaient pas, donc pour écouter ce qui me plaisait – en dehors des Eurockéennes à qui je dois beaucoup en termes de culture musicale – j’éclusais les magasins de disques (spéciale dédicace aux bacs imports de la FNAC et des disquaires indépendants) et j’écoutais la radio suisse Couleur3 qui diffusait des émissions hyper éclectiques musicalement (indiepop, electro, rock/métal, rap, reggae, musiques du monde, ambient). Cette radio, je lui dois énormément pour ma culture musicale. Elle diffusait notamment des soirées électroniques animées par un MC légendaire de la scène house helvétique (Mr.Mike) en direct du D!Club de Lausanne ou de différents festivals entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse et la France. C’était un vrai kif le samedi soir après 22h quand je n’avais pas encore le droit de sortir ! Aujourd’hui les ados et jeunes adultes en France et globalement en Occident disposent de tout internet dans la poche, sur leurs smartphones. C’est totalement différent comme approche de la “plus grande discothèque du monde”. 😉

ItinéraireBis : est-ce un avantage ou plus un inconvénient d’avoir un pied à l’extérieur de la scène ?

Vice Experience : au début, je pensais que ça serait négatif car j’allais être moins connecté, moins informé, moins en lien direct avec toutes les bonnes personnes et les tendances, etc.
Avec un peu de recul, je pense que c’est un grand avantage en fait, parce que je peux me libérer du temps de vie sociale et me concentrer sur ce qui me plaît vraiment, musicalement et professionnellement. En plus, ça crée des liens plus durables. C’est comme retrouver des potes qu’on n’a pas vu depuis longtemps !

ItinéraireBis : une anecdote croustillante liée à ta double casquette ?

Vice Experience : sans sombrer dans le cliché du Philippe Manoeuvre de l’electro, j’ai eu la chance de rencontrer pas mal d’artistes et DJs dans ma vie, donc j’ai plusieurs anecdotes de soirées…mais pas toutes racontables ^^

La plus gênante : en 2008 au Razzmatazz à Barcelone lors d’une grosse soirée qu’on organisait avec Citizen Records, je mixais lors des interplateaux et on avait programmé tellement de DJs sur toutes les salles qu’il y avait un peu de retard qui s’était accumulé sur les running orders et j’ai, malgré moi, joué à la place de Kittin et The Hacker qui attendaient sur le bord de scène. Heureusement, comme ils sont hyper sympas et amis de longue date de Vitalic – boss de Citizen records – tout s’est bien arrangé par la suite.

La plus “romantique” : en 2011, dans les toilettes d’un club parisien où j’organisais une soirée avec The Micronauts, Cosmo Vitelli et plusieurs amis DJs, il y avait un miroir sans teint. En rentrant dans ces toilettes, j’ai vu malgré moi les fesses de ma compagne avant de lui bonjour pour la première fois…On est toujours ensemble <3

Et l’anecdote la plus “people” pour boucler la boucle :
En 2009, en 3h aux Eurockéennes, je ne mixais pas mais j’ai un peu réalisé un rêve de gosse : j’ai pu discuter gastronomie et grands vins de Bourgogne avec Keith Flint (feu! chanteur de Prodigy) juste avant de le voir performer devant +30.000 personnes (jamais ressenti une telle déflagration de chaleur humaine, littéralement) et me marrer sur le côté avec leurs potes de Cypress Hill qui mataient le show avec un grand sourire. Pour couronner le tout, j’ai emmené tous ces joyeux lurons voir Diplo qui mixait sur la plage. Un sacré kamoulox cette histoire !

ItinéraireBis : quel est le track qui collerait parfaitement avec ton métier ?

Vice Experience : trop difficile de choisir un seul morceau. J’ai plusieurs tracks qui ne quitteront jamais ma playlist et qui ont une forte valeur sentimentale :

The Prodigy – Firestarter : le morceau déclencheur de mes amours électroniques


Daft Punk – 909 Revolution et Burnin’ : sur un album qui aura marqué toute mon adolescence et même ma vie, comme beaucoup de personnes de ma génération


Vitalic – La Rock 01 et The 30000 feet club (live) : 2 bangers de mon époque au sein de Citizen records


Laurent Garnier – Crispy bacon : le tube techno incontournable du patron, avec un clip mythique réalisé par Mr.Oizo/Quentin Dupieux


Madonna – Vogue (12’ remix) – j’adore mixer ce morceau en warmup, il se bonifie avec le temps. D’ailleurs, mon husky s’appelle Vogue aussi en référence à ce track


DJ Pierre ft. Felicia – People come together (what is house) : un véritable hymne à la fête et à la communion électronique selon moi par un pionnier de Chicago, fondateur du groupe mythique Phuture et icône de la scène acid house originelle. Les lyrics sont juste parfaits : “People. Come together. Feel the music. Hear the sound. From the underground. Make it happen”


Donna Summer – I feel love : un classic disco intemporel, magnifiquement produit par Giorgio Moroder, et qui clotûre souvent mes sets.


Et si je devais partager un de mes sons, je dirais ce track que j’ai édité. Il m’a donné envie de me remettre à produire pendant le Covid et de continuer à mixer jusqu’à maintenant :

ItinéraireBis : quels conseils donnerais-tu à de jeunes DJs qui mènent une double vie le jour et la nuit ?

Vice Experience : peu importe votre régime, rythme et mode de vie, échangez avec un maximum de personnes, confiez vos soucis à des pros, essayez de garder des liens réguliers avec des gens qui vous aiment et vous ramènent sur terre (famille, amis)…et plus basique mais très sérieusement ça aide à tenir durablement, mangez avant de vous coucher, faîtes du sport et buvez de l’eau !

ItinéraireBis : en dehors de ton métier et du Djing et de la prod, as-tu d’autres passions qui te portent ?

Vice Experience : mes proches, ma famille et depuis l’été dernier mon chien. Grosse passion husky 😉

ItinéraireBis : le mot de la fin…

Vice Experience : faîtes ce qui vous tient à cœur et transmettez un maximum d’amour ! Et si vous voulez me suivre sur les réseaux ou me booker, c’est par ici : Linktr.ee et Instagram.


Interview par Vincent Barrier