ItinéraireBis est parti à la rencontre des DJs à « double casquette » qui exercent à métier « classique » le jour et nous font danser la nuit. Focus aujourd’hui sur la DJ Rehcorb.
ItinéraireBis : bonjour Rehcorb. Peux-tu te présenter à notre communauté.
Rehcorb : je m’appelle Anaïs mais on m’appelle souvent Ana dans le milieu, j’ai 33 ans et après avoir passé près de 10 ans à Paris, je suis revenue m’installer dans le Gard, ma région natale, fin 2023. Passionnée de sonorités électroniques présentes dans des groupes comme The Prodigy, Les Beruriers Noirs ou encore Linkin Park depuis mon enfance, je commence la prod en 2008 (c’est ce que j’aime le plus !) avec aujourd’hui des sorties sur différents labels à mon actif : Chat Noir, Adrenaline Quality, Underscope, Rooms Inc, Archipel, etc. Entre 2017 et 2024, j’ai également partagé ma passion avec le public en tant que DJ, activité que j’ai décidé de mettre de côté pour me concentrer sur la prod. Je suis toujours résidente dans le collectif « Le Cartel de Jean » (depuis 2020) et n’accepte que les propositions de gigs extérieurs qui m’intéressent particulièrement.
ItinéraireBis : quel métier exerces-tu le jour ? Ton activité de DJ influe-t-elle sur ton métier ? Ta direction est-elle au courant ?
Rehcorb : jusqu’à présent j’étais responsable marketing dans différentes entités, la dernière étant Effy. Avec mon départ et mon envie de rentrer « à la maison », j’ai lancé ma propre activité de conseils en marketing stratégique et business intelligence dédiés aux entreprises de la tech et du numérique : Les Cellules Grises. Je prends aussi part à différents projets qui me tiennent à cœur, notamment l’apprentissage de l’anglais et de l’espagnol à des adolescents.
Quand je travaillais en tant que salariée : oui, ma direction était au courant et je faisais en sorte qu’il y ait le moins d’impact. Ça demande une belle organisation (comme anticiper un peu le travail sur un gig en m’allégeant au taf les 2 ou 3 jours qui précèdent).
Aujourd’hui, étant à mon compte, cette flexibilité est totale. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’ont poussée à me lancer en indépendante.
ItinéraireBis : quels sont les avantages et les inconvénients de cette double casquette ?
Rehcorb : inconvénients : Je suis souvent très (trop ?) occupée, ce qui limite ma vie sociale, mais cela ne me gêne pas vraiment, étant naturellement assez solitaire. J’éprouve également une fatigue récurrente ; en semaine, je fonctionne un peu comme une « mamie », avec un coucher à 22h ! De plus, je passe beaucoup trop de temps devant l’écran, ce qui affecte mes yeux et mon dos, surtout quand je travaille la journée et que je me consacre à une session de production le soir, ce qui me conduit à des journées de 9h à 22h devant l’ordinateur.
Avantages : En fait, à part ces quelques aléas… c’est comme ça que j’ai l’habitude de vivre depuis plusieurs années. Et je dirais même mieux : je ne risque pas de changer l’un ou l’autre.
ItinéraireBis : as-tu déjà pensé à tout quitter pour tenter ta chance dans le Djing et/ou la production ?
Rehcorb : ça a pu m’effleurer l’esprit mais c’est très anecdotique. En fait moi, ce que j’aime le plus c’est la prod et il est très difficile d’en faire une carrière. Je ne me vois absolument pas être DJ à plein temps et passer ma vie en tournée.
ItinéraireBis : une anecdote croustillante liée à ta double casquette ?
Rehcorb : alors je ne sais pas si c’est croustillant mais quand j’étais Responsable des Offres B2B (lol) du groupe Effy, je travaillais au 40ème étage de la tour Montparnasse. Et un jour, j’ai fini ma journée de travail et je suis allée mixer sur le rooftop de la tour pour un événement !
ItinéraireBis : quel est le track qui collerait parfaitement avec ton métier ?
Rehcorb : je partirai sur Mannix – Java car, à chaque écoute, j’imagine des petits bonhommes qui s’activent sur plein de tâches différentes, chacun œuvrant de manière précise mais coordonnée. Et c’est un peu comme ça que je me vois : toujours au four et au moulin, jonglant entre plusieurs projets et rôles avec énergie et organisation !
ItinéraireBis : quels conseils donnerais-tu à de jeunes DJs qui mènent une double vie le jour et la nuit ?
Rehcorb : mon conseil principal serait de trouver un équilibre solide entre organisation, anticipation et contrôle. Quand tu mènes une double vie, il faut être capable de jongler entre tes responsabilités professionnelles et ta passion pour la musique sans te laisser déborder. L’organisation est la clé : planifie tes journées de manière précise pour anticiper les périodes de travail intense et de performances. Assure-toi aussi de garder un certain contrôle car on ne peut pas se laisser embarquer dans tous les guets-apens ! Gérer son énergie et penser à soi est essentiel, surtout quand on a des journées bien remplies avant de monter sur scène.
ItinéraireBis : quel regard portes-tu sur la scène électronique française actuelle ? Quelles sont les choses à améliorer selon toi ?
Rehcorb : la scène électronique française a, c’est vrai, énormément évolué depuis les années 2010. Et même si ça peut paraître un peu « boomer » (sorry), je trouve qu’il y a eu un véritable shift, notamment avec l’explosion des réseaux sociaux. Ces derniers ont redéfini la manière dont on consomme et partage la musique, mais aussi la manière dont on se positionne en tant qu’artiste. Personnellement, j’ai eu du mal à accepter cette transformation. Le fait qu’il soit aussi très simple de se qualifier DJ aujourd’hui, que le contenu soit parfois très superficiel ou axé sur l’apparence, ça m’a un peu éloignée de cette scène. C’est en partie pour ça que j’ai mis de côté le mix et que je me suis recentrée sur la production.
Je n’ai plus cette envie de faire partie de ce système ni de l’alimenter, et je ressens un besoin de prendre du recul. Je préfère me concentrer sur ce qui me passionne vraiment et rester fidèle à ce qui me semble authentique.
Cela dit, il y a encore de superbes initiatives, même en France. Il existe de nombreux artistes et collectifs qui réussissent à proposer quelque chose de véritablement créatif et pertinent, loin des codes et des tendances dominantes. Mon conseil serait de suivre son cœur et de faire ce qui nous passionne, indépendamment des attentes du système. La scène pourrait encore gagner en authenticité et en diversité, en donnant plus d’espace aux démarches artistiques qui sortent des sentiers battus, tout en respectant l’aspect humain de la musique.
ItinéraireBis : en dehors de ton métier et du Djing et de la prod, as-tu d’autres passions qui te portent ?
Rehcorb : le voyage ! Depuis quelques années, j’ai tendance à partir en voyage souvent en solo et en mode sac-à-dos. Ma dernière expérience : l’Inde entre mars et avril 2023. C’est un pays où règnent les extrêmes, où chaque moment peut être à la fois fascinant et déroutant. J’y ai vu des paysages à couper le souffle, des cultures riches et variées mais aussi des réalités parfois difficiles à appréhender. Ce contraste m’a beaucoup fait réfléchir et m’a permis de prendre du recul sur ma propre vision du monde.
ItinéraireBis : le mot de la fin…
Rehcorb : restez fidèles à vous-même et soyez humbles. Que ce soit dans la musique, dans le travail ou dans la vie, l’authenticité est la clé. C’est en écoutant son cœur et en poursuivant ce qui nous passionne vraiment que l’on trouve l’équilibre et la satisfaction… tout en gardant les pieds sur terre : ce n’est “que” de la musique !
Interview par Vincent Barrier