Interview « Double Casquette » avec Louve

ItinéraireBis est parti à la rencontre des DJs à « double casquette » qui exercent à métier « classique » le jour et nous font danser la nuit. Focus aujourd’hui sur la DJ Louve.

ItinéraireBis : bonjour Louve. Peux-tu te présenter à notre communauté.

Louve : je suis Louise aka Louve, j’ai 30 ans, je viens de Lille mais j’ai vécu dans pas mal d’endroits différents comme Paris, les Etats-Unis, l’Espagne et le Canada.

J’ai commencé la musique il y a plus de 3 ans et demi lorsque je vivais à Montréal.

ItinéraireBis : quel métier exerces-tu le jour ? Ton activité de DJ influe-t-elle sur ton métier ? Ta direction est-elle au courant ?

Louve : j’ai travaillé pendant 5 ans et demi dans les Ressources Humaines, je faisais du recrutement, en local et à l’international, pour différentes entreprises (à Montréal et à Lille).

Lorsque je démarrais, pendant mes premières années en tant que DJ, ça n’avait pas tant d’influence que ça sur mon travail, mais, il y a quelques mois, ça a commencé à vraiment bien marcher pour moi à Lille et je me suis rendue compte que la fatigue s’accumulait beaucoup trop, en plus de prendre conscience que j’avais de moins en moins d’intérêt pour mon métier de recruteuse.
Ma direction a toujours été au courant, oui.

Aujourd’hui je cumule plusieurs casquettes : DJ la nuit et organisatrice de soirées / concepts. Et le jour, j’ai un podcast sur les handicaps invisibles, qui s’appelle Symptôme Fantôme. J’ai moi-même été diagnostiquée d’une maladie neurologique rare, j’ai souffert de phases psychologiques très compliquées, et je voulais donc créer quelque chose sur cette thématique, pour aider celles et ceux qui traversent les mêmes épreuves.

Avec le rythme plus souple que j’ai maintenant, j’arrive à mieux m’organiser et surtout, choisir mes horaires en toute liberté.

ItinéraireBis : quels sont les avantages et les inconvénients de cette double casquette ?

Louve : l’avantage principal c’était le confort financier, le fait de pouvoir m’acheter du matériel / des tracks facilement, de pouvoir voyager pour m’inspirer, pour ma musique, le fait aussi de ne pas “mettre tous ses œufs dans le même panier”.

L’inconvénient c’était essentiellement la fatigue accumulée, la frustration de ne pas pouvoir développer mon projet comme je l’aurais aimé à ce moment-là et l’éloignement entre mon intérêt pour la musique et mon intérêt pour mon métier “de jour”.

ItinéraireBis : que penses-tu de la scène électronique actuelle ? Les côtés positifs et négatifs par exemple.

Louve : en étant en Europe, on a la chance d’accéder à tous les courants de musique électroniques les plus trendy et on a accès à une diversité de styles et d’influences différentes, qui viennent principalement de Berlin et de Londres. De mon côté, je suis ravie d’être dans cette partie du monde; à cette époque et de bénéficier d’une telle scène, et aussi accessible, que ce soit pour moi en tant que DJ, pour jouer, mais aussi financièrement ! A Lille, il y a des endroits qui sont encore gratuits où on peut voir de super DJs (locaux ou non). Ce que je vois aussi, c’est qu’on fait de plus en plus attention à créer des lineups mixtes ou encore mieux, paritaires, et donc les femmes et personnes queer ont également plus accès aux grandes scènes, même s’il y a encore du travail de ce côté-là. En tout cas, c’est déjà mieux qu’il y a 15 ans.

Ce que j’observe de négatif, c’est plutôt la dépolitisation de la scène électronique, ou alors l’apparition de groupuscules d’extrême droite dans les soirées, ce qui m’inquiète beaucoup. Il y a un manque d’éducation quant aux valeurs du clubbing, des raves, qui est alarmant. En tant que femme, j’ai eu plusieurs fois un sentiment d’insécurité sur le dancefloor au cours de ces derniers mois.

La banalisation de la consommation de substances et les ravages qu’elles font sur les plus jeunes me terrifie aussi.

ItinéraireBis : as-tu déjà pensé à tout quitter pour tenter ta chance dans le Djing et/ou la production ?

Louve : c’est totalement ce que j’ai fais ! Je prends un risque, étant donné que je suis au chômage actuellement, et que j’essaye de faire fonctionner ma micro-entreprise, mais je suis plus heureuse et surtout moins fatiguée qu’avant. Pour moi, le luxe c’est de ne pas avoir de réveil.

ItinéraireBis : une anecdote croustillante liée à ta double casquette ?

Louve : dans mon dernier travail, je me suis retrouvée à mixer sur le rooftop d’un hôtel à Ibiza, car mon entreprise nous avait emmené en séminaire là-bas (ça faisait seulement quelques jours que j’avais commencé ce nouveau contrat aha !)

ItinéraireBis : quel est le track qui collerait parfaitement avec ton métier ?

Louve : Romy – Strong


Elle réunit ma sensibilité pour la santé mentale, elle parle d’empathie, et dans mon métier en RH, c’était essentiel, et elle me fait penser à des expériences que j’ai moi-même vécu. Et musicalement, c’est tout ce que j’aime.

ItinéraireBis : quels conseils donnerais-tu à de jeunes DJs qui mènent une double vie le jour et la nuit ?

Louve : je leur conseillerai de continuer leur double vie si cela leur convient, je connais des personnes qui adorent cumuler les deux car passionné.es par leur deux activités !

Par contre, s’il faut faire un choix, je leur conseillerai de bien prévoir leur avenir financièrement parlant. Avant de quitter mon CDI, j’avais fait des calculs sur plusieurs mois pour m’assurer que ce soit possible. Ne pas prendre de décision trop hâtive, peser le pour et le contre, et prioriser ce qui est important pour soi-même.

ItinéraireBis : en dehors de ton métier et du Djing et de la prod, as-tu d’autres passions qui te portent ?

Louve : j’adore voyager, j’adore aussi cuisiner, je suis aussi très cinéphile (séries, cinéma)… Je m’intéresse à l’art de manière générale et je me laisse facilement imprégner.

ItinéraireBis : le mot de la fin…

Louve : notre santé mentale passe avant n’importe quel salaire, passion ou CDI. Le vrai luxe pour moi, c’est de choisir la vie qu’on veut mener avec le rythme dont on a besoin, et faire ce qu’on aime, ce qui nous fait vibrer. Alors si tu as trouvé ça, continue !


Interview par Vincent Barrier

Crédits photo : Maxime Mersak