Le géant international Tomorrowland implantera son édition hivernale à l’Alpe d’Huez. La Région avait en effet annoncé qu’une subvention de 400 000 euros serait octroyée pour organiser le plus gros festival electro du monde à l’Alpe d’Huez en mars 2019. Ce communiqué a bousculé le monde des cultures électroniques. En effet, capitaliste et lobbying fondent les bases de ce festival. En dépit du contexte actuel de renouveau du tissu culturel français, les collectivités même préfèrent subventionner un festival faisant la part belle à un organisme qui participe à une course au résultat plus qu’à la mise en place d’une démarche artistique de qualité. Les deux sont pourtant conciliables (cf. Dekmantel). Les choisir mais plus encore les subventionner, c’est questionner le financement régional à destination d’une structure extrarégionale lorsque les acteurs régionaux, dans une logique non lucrative, sont dépossédés de leurs budgets.
Une tribune publiée par Tommy Vaudecrane, président de Technopol-Techno Parade, association pour la défense, la reconnaissance et la promotion des musiques et des cultures électroniques, cosignée par 37 festivals français, réagit au financement de Tomorrowland.
Par Tommy Vaudecrane
Si nous sommes tous d’accord pour dire que cette implantation confirme le dynamisme du marché mondial des musiques électroniques et l’attractivité de la France, le soutien financier déjà accordé par la région Auvergne-Rhône-Alpes et potentiellement par la ville de l’Alpe d’Huez peut être discuté. Ceci non pas car Tomorrowland est un festival étranger mais simplement car ce festival, comme de nombreux autres, a une activité à but purement lucratif et commercial avec un producteur ultracapitaliste, guidé exclusivement par une approche mercantile et ne s’adressant qu’à un public extrêmement privilégié.
En effet, si nous voulons faire face à l’hégémonie des multinationales du divertissement qui s’implantent en France et se livrent une guerre à coups de millions d’euros, et préserver notre patrimoine culturel, il serait judicieux que les institutions, au-delà de leurs engagements verbaux, soutiennent le développement de nos acteurs des musiques électroniques qui travaillent d’arrache-pied à créer de la valeur et n’ont pas pour seul objectif le profit et la satisfaction de leurs actionnaires.
Aucun de nos acteurs des musiques électroniques ou des musiques actuelles ne dispose des moyens financiers pour faire face aux multinationales du divertissement. 90 % des festivals de musiques électroniques français se développent sur des fonds propres ou privés et la plupart n’ont jamais bénéficié d’une subvention à hauteur de 400 000 euros. Que ce soit The Peacock Society, les Nuits Sonores ou encore Astropolis, aucun ne fait le poids face à ces entreprises. Déjà étouffés par des coûts de production extrêmement élevés, des coûts de sécurité en constante augmentation depuis 2002, de nombreuses taxes qui constituent entre 15 % et 20 % d’un budget de festival (Sacem, CNV, etc.) et un coût du travail qui est l’un des plus élevés en Europe, les acteurs des musiques électroniques et des musiques actuelles luttent pour leur survie.
Pourtant, les artistes de musique électronique française rayonnent dans le monde entier. La musique électronique est le premier style à l’export, Paris est redevenu une des capitales mondiales du clubbing et le dynamisme créatif n’a jamais été aussi fort, comme en témoigne l’émergence de nouveaux labels, collectifs, artistes, soirées et festivals ces dernières années. C’est donc plus que jamais le moment de soutenir et d’investir dans ces cultures. Faut-il créer son activité hors de France pour connaître un succès économique à l’image des frères Pissenem, qui ont pu développer une économie forte et des dizaines d’emplois en allant s’installer à Londres et Ibiza ? La France est-elle condamnée à voir, impuissante, la fuite de ses talents et de ses cerveaux à l’image des scientifiques et des start-up qui s’exportent aux USA pour développer leur activité ?
Technopol et les acteurs des musiques électroniques estiment qu’il est grand temps que les solutions de financements soient fléchées en priorité sur les acteurs culturels, cela afin que les fonds attribués puissent soutenir l’émergence artistique, les musiques moins commerciales et les formules plus audacieuses et non le strass et les paillettes des multinationales du divertissement.
Sans une prise de position ferme de l’Etat sur le même modèle que la French Tech, le cinéma, la gastronomie ou encore l’industrie automobile, notre entrepreneuriat culturel électronique risque de disparaître au profit des multinationales du spectacle qui disposent de fonds quasi illimités pour occuper le terrain dans le monde entier.
Festivals et organisations cosignataires : Nuits Sonores, Weather Festival, Association Electroni[k] (Maintenant), Positive Education, Made Festival, N.A.M.E. Festival, Paco Tyson, Macki Music Festival, Tilliacum Festival, Délices Sonores, Rave Festival, Astropolis, Le Bon Air, Aucard de Tours, We Love Green, The Peacock Society, Electrobotik Invasion, Tapage Nocturne, Impact Festival, Rock The House, Îlots Électroniques, Marvellous Island, Les Électropicales, Big Bang, Baleapop, Psymind Festival, Qui Embrouille Qui Festival, Electro Alternativ, Verger Festival, Insane Festival, World Trance, Dream Nation, Stereolux / Festival Scopitone, Holocene, Elektrik Park, Kolorz, Dernier Cri et Résonance…